« … oui Papa. Moi aussi je t’aime. Je te rappelle demain. »  je raccrochai avant de balancer le téléphone sur l’un des canapés, m’y laissant tomber aussi par la même occasion. Je savais très bien que ça lui faisait bizarre. Je n’avais passé qu’un mois avec lui en Nouvelle-Zélande, alors qu’habituellement, je passais tout mon été là-bas. A surfer, à jouer au rugby –ou plutôt à se faire des passes, à faire de la plongée. Peu importe l’activité, tant qu’on le faisait ensemble. Mais cette année, changement de programme, et en réalité, je n’aurais même pas su expliquer pourquoi. Peut-être que pour une fois j’avais juste eu envie de profiter d’un état sous le soleil californien. C’était pas mal non. Et comme aujourd’hui, j’avais pu profiter de la houle et des vagues qui s’étaient formées. Je regardai mes bras, légèrement blanchis par le sel qui  s’y était accroché. Les cheveux encore humides, c’était comme si j’étais encore dans l’eau. La sonnerie de la porte d’entrée retentit, et comme à mon habitude, j’attendis quelques secondes avant de bouger. Pourquoi se lever si l’une des filles était déjà sur le chemin ? Mais rien. Aucun bruit de pas, aucune précipitation. Je soupirai. Pas le choix, j’devais aller ouvrir. J’aurais peut-être dû prendre une douche. Mon short en jean était humide, et mon haut de maillot de bain encore mouillé à laisser des traces sur mon t-shirt turquoise. En ouvrant la porte, je restais bouche bée. C’était comme se retrouver face à mon miroir mais je ne pus m’empêcher de sourire. « Emilia ! » laissai-je échapper, d’une voix plus aigüe que ce j’aurais voulu. « T’es arrivée quand ? Enfin je t’en prie, rentre » Je me décalais légèrement pour la laisser entrer, en tentant de retrouver des pensées cohérentes. Je ne savais pas qu’Emilia avait pour projet de venir ici, encore moins la durée de son séjour. Finalement, je la pris dans mes bras. On n’avait jamais été très proche, il fallait l’avouer, mais ça faisait un moment que je ne l’avais pas vu et j’étais ravie de la voir ici. Ravie mais tout de même surprise qu’elle n’ait rien dit. « Bienvenue chez les Tri Pi… » lançai-je en ouvrant les bras, comme pour lui désigner la maison.

Taliya ne s’attendait pas vraiment à voir sa sœur jumelle débarquée. Encore moins sans s’annoncer. Et ce ne fut qu’en la voyant que la jeune néo-zélandaise réalisa que ça faisait bien longtemps qu’elles ne s’étaient pas retrouvées face à face. Taliya ne put se retenir de rire en voyant l’hésitation de sa sœur pour qualifier la demeure des Tri-Pi.  « Tu peux le dire… C’est le bordel. » Le rangement n’avait jamais franchement été son fort. Et ça ne s’était pas forcément amélioré en grandissant. Quant aux autres filles Tri Pi… disons que chacune avait son caractère, et le paraitre n’était pas le mot d’ordre. Chacun rangeait ses affaires quand bon lui semblait, dans la limite du raisonnable et du savoir vivre. « Mieux vaut tard que jamais ! » Ce n’était clairement pas un reproche. Taliya ne s’était jamais rendue non plus chez sa sœur, à New York. Et même si elle n’avait jamais été une grande fan des surprises, la venue de sa sœur était plus qu’appréciée. La jeune étudiante sourit en écoutant sa sœur, enthousiaste –un peu trop même, pour que ça soit étrange. « T’as eu raison. Tu loges où ? Si t’as besoin d’aide pour chercher, hésite pas. » ajouta-telle en haussant les épaules. Après tout, si ce voyage était un coup de tête, peut-être n’avait-elle pas encore réservé d’hôtel. Elle pénétra un peu plus dans la maison, pour inviter Emilia à prendre place dans leur salon avant de rigoler une fois de plus. « … que je sois ? Mouillée ? Bronzée ? ravissante ? » demanda-t-elle avec un air malicieux avant de rire de plus belle en se laissant tomber sur le canapé. Elle acquiesça d’un signe de tête à la question de son sosie.  « Elles sont géniales. Enfin ça reste différent de la Nouvelle-Zélande, mais j’ai pas à me plaindre. » La Californie restait un spot de privilège pour tout surfer qui se respectait. Alors certes, elle n’avait pas la magie de son pays natal, mais elle s’y était plutôt bien faite. Pendant quelques secondes de silence, Taliya ne put s’empêcher de détailler sa sœur. Même dans leur manière de se tenir elles n’était pas similaires. Certes, physiquement, il n’y avait aucune différence notable, mais leurs attitudes étaient complètement différentes.  « Et comment ça se passe à New York ? » Au final, elle ne connaissait pas grand-chose de la vie de sa sœur. Certes, elles discutaient parfois de banalités. Mais c’est ce que ça restait : des banalités. Taliya n’avait jamais été franchement la plus douée pour se confier ou pour mettre des mots sur ses sentiments, et bizarrement, cela semblait être plus accentué avec sa sœur. Et finalement, elle ne put s’empêcher de demander, « Elle sait que t’es là ? » Et par elle, la jeune Emerson parlait de leur mère. Cet être en quête constante de perfection pour elle-même et ses deux filles, comme si leur monde ne se résumait qu’à une campagne politique constante. Rien que d’y penser, Taliya avait envie de lever les yeux au ciel. Autant la visite de sa sœur ne la gênait pas le moins du monde, autant que voir sa mère débarquer n’aurait certainement pas le même effet.

Elle acquiesça d’un signe de tête lorsqu’Emilia lui précisa qu’elle séjournait pour le moment à l’hôtel. C’était ça en moins à se préoccuper. Et puis, en bord de mer, elle profiterait pleinement de l’air californien. Taliya ne put s’empêcher de rire en entendant la remarque de sa sœur jumelle. Oh non, elle n’était pas toujours magnifique, même s’il était vrai que l’air californien lui allait plutôt bien. « Tu ne m’as clairement pas vu au lendemain d’une soirée. » répliqua-t-elle en rigolant. « Je ferais peur à un zombie… » Maintenant que sa sœur était là, Taliya était curieuse de savoir si ses amies réussiraient à les différencier, ou en tout cas à dire laquelle était qui en un simple coup d’œil. Elles se ressemblaient énormément. Mais leurs styles étaient différents. Leurs mimiques aussi. Et sans aucun doute leur façon de se comporter. Il était plus qu’évident qu’une fois que l’une des deux ouvrirait la bouche, il serait plus qu’aisé de déterminer leur identité. Et comme à leur habitude, voilà que venait de commencer l’échange des banalités, sans jamais s’étendre sur des choses trop personnelles. Par habitude, ou peut-être par peur de réaction de l’autre, par retenue, par manque de pratique… A force, elle ne savait plus vraiment. Elle ne savait peut-être même plus ce que c’était que réellement se confier. Taliya haussa les épaules lorsqu’Emilia mentionna Los Angeles. Tu ne savais pas si l’une des deux villes était mieux que l’autre. « Los Angeles… C’est spécial. Faut s’habituer. » En réalité, elle n’était pas une grande fan de Los Angeles comme certains autres pouvaient l’être. Les papparazis suivaient tout le monde à partir du moment où la personne portait un patronyme un tant soit peu connu. Une bonne partie de la population respirait l’hypocrisie et les faux semblants, et ça l’exaspérait. Mais c’était Los Angeles et seulement Los Angeles. Elle adorait littéralement le reste de la Californie il n’y avait pas besoin d’aller bien loin pour obtenir sa tranquillité légendaire. Et finalement, Taliya posa la question qui lui brulait les lèvres. Elle espérait que la venue de sa sœur ne soit pas synonyme de l’apparition de leur mère. D’ailleurs, elle n’était pas bien sure de comprendre sa réponse, et pour toute réaction, ses sourcils se froncèrent. Qu’elle vive à l’autre bout du pays ? Et comme pour éclaircir ses dires, Emilia s’expliqua. Taliya resta bouche bée pendant quelques secondes, bien trop surprise que sa sœur si réfléchie vienne finalement la rejoindre sur la Côte Ouest, sur ce qui semblait être un coup de tête. Au bout d’un moment, un large sourire s’afficha sur le visage de la jeune scientifique, puis elle rit légèrement avant de plaquer ses mains sur sa bouche pour se retenir. « Désolée…. J’essayais d’imaginer sa tête quand tu lui as annoncé ça. » Elle rigola un peu plus avant de se calmer. « Mais tu ne vas pas le regretter. Elle, si, sans aucun doute. Mais on s’en fout. » Taliya se leva pour aller dans la cuisine et récupérer deux verres de limonade. Elle en tendit un à sa sœur avant de se rasseoir. « Je suis contente. Que tu sois là… Et que t’es fait ça. Peu importe la raison. » lança-t-elle avec un peu plus de sérieux. « Et puis… on se verra un peu plus… » ajouta-t-elle avec un léger haussement d’épaules, comme s’il s’agissait d’une chose banale, alors qu’au fond se rapprocher d’Emilia faisait partie des choses qu’elle voulait voir changer depuis un moment.

Aussi surprenant que c’était, voir Emilia était plaisant et rafraichissant. Pourtant, Taliya ne pouvait s’empêcher de se demander pourquoi elle était là. Elles n’avaient jamais été très proches. Du moins pas assez pour que chacune se pointe chez l’autre à l’improviste. Elles ne l’avaient jamais fait. Chacune avait sa vie, et elles étaient diamétralement opposées. Emilia était là, et pourtant Taliya ne pouvait s’empêcher de ressentir cette distance qu’il y avait toujours eu entre elles. Un fossé qu’elle espérait bien combler un jour ou l’autre. Seulement il fallait avouer qu’habiter aux deux extrémités du pays n’aidait pas vraiment. « Remarque… vaut mieux peut-être pas que t’assistes à ça… » lança-t-elle avec un sourire amusé, à propos de ses cheveux en bataille et de la tête qu’elle pouvait avoir un lendemain soirée. Une tête à faire peur, sans aucun doute, mais son sourire ne disparaissait jamais. Sans plus de transition, Emilia lâcha une bombe. En quelques sortes. En tout cas, elle ne l’avait pas vu venir. Emilia était celle qui prenait les décisions en ayant réfléchi avant. Elle était posée et elle prenait tous les paramètres en considération. Contrairement à la tornade qui lui servait de sœur jumelle. Avec elle, les décisions se prenaient au feeling, à l’instinct, même s’il était possible qu’elle le regrette plus tard. Seulement aujourd’hui, elle lui annonçait tout naturellement qu’elle déménageait pour venir rejoindre sa sœur sur la côte Californienne. Une vraie surprise. Qui n’avait pas dû ravir leur mère. Mais peu importe, si c’est ce qu’il fallait à Emilia, elle devait le faire. « Je t’assure que non… Emilia, j’te connais assez pour savoir que si t’as pris cette décision, c’est parce que t’en avais besoin. » Et pas parce qu’elle le devait. Taliya était bien placée pour savoir que prendre les décisions parce qu’on le voulait –et non parce qu’on le devait- étaient les bonnes choses à faire. Pour soi-même. Peut-être pas d’un point de vue professionnel, mais d’un point de vue strictement personnel. Elle ne put que sourire davantage lorsqu’Emilia lui avoua qu’elle pensait tout autant qu’elle à se voit plus souvent. Taliya ne l’avait jamais franchement à qui que ce soit, mais parfois, cette absence de proximité avec sa sœur lui pesait. Elles étaient jumelles. N’étaient-elles pas censées être complètement fusionnelles ? Tout connaitre l’une de l’autre ? Et pas seulement deviner comment allait réagir l’autre parce que ce serait l’exact opposé de ce qu’elle aurait fait. Seulement elle se demandait si c’était là, la raison principale. Est-ce qu’elle avait fait tout le chemin seulement pour se rapprocher ? Ca aurait été étonnant qu’il n’y ait pas d’autres raisons sous ce déménagement. Elle l’écoutait attentivement, parler de ses études, et du bonus qu’elle soit ici. Mais sans savoir pourquoi, la jeune étudiante ne pouvait s’empêcher de se demander s’il n’y avait pas plus que ça. « Je doute pas de l’excellence du département spatial… Et j’suis vraiment contente de savoir que j’ai un peu aussi fait pencher la balance… » Elle fronça légèrement les sourcils, pas forcément à l’aise lorsque les discussions s’approfondissaient, ce n’était pas quelque chose qu’elles avaient l’habitude de faire. « … Mais, c’est la seule raison ? Enfin… Je… j’sais pas, si t’as besoin de parler quoique ce soit… J’suis là. » ajouta-t-elle en haussant les épaules, peu à l’aise mais sincère.