chapter 1, welcome to the jungle ~
« Eliott, il faut qu’on parle mon grand. » Mon père m’avait tenu ce propos deux fois, deux fois que je ne pourrais jamais oublier même si je le voulais. La première fois, ce fut lorsque j’avais à peine quatre ans. A cette époque, nous vivions dans la ville d’Amsterdam, mon père, ma mère, ma sœur jumelle –fausse jumelle, d’ailleurs, nous n’avons vraiment aucun trait de ressemblance– et moi. Non, nous n’avions pas de maison à la campagne avec des animaux et de l’air pur pour élever les enfants. Non, nous n’avions pas non plus d’animaux de compagnie pour nous amuser ma sœur et moi. Non. Nous, on n’avait pas besoin de tout ça pour être une famille heureuse. On avait besoin que de nous quatre réuni. Ensemble et puis c’est tout. Enfin, ça, la vie ne l’avait pas compris. On n’avait pas demandé la lune nous, mais non, rien à faire. La vie avait brisé notre bonheur. Ce jour-là, lorsque mon père avait voulu me parler alors que je n’avais que quatre ans, c’était pour m’annoncer la plus dure et triste nouvelle de toute ma vie : ma mère n’était plus là et elle ne reviendrait jamais. Certains diraient que j’étais trop jeune pour comprendre ce qu’il s’était produit ce jour-là. Ces gens n’avaient pas réellement tort. Non, je n’avais pas tout compris à ce moment-là, mais j’avais compris l’essentiel : je n’allais plus revoir ma mère. Parce que la vie avait décidé d’être cruelle. Parce que le cancer est une putain de maladie qui bousille tout sur son passage. Je n’avais plus de mère, je l’avais perdu et, en échange, j’avais gagné une sensation de vide en moi. Une sensation qui serait éternelle. Je le savais déjà à cette époque, sans m’en rendre compte. Et cette sensation s’était creusée un peu plus lorsque j’avais constaté que mon père avait de plus en plus de mal à me regarder en face. J’étais le portrait craché de ma mère et, la ressemblance s’affinait de plus en plus. Ça lui faisait du mal. Ça m’en faisait tout autant. J’avais perdu ma mère, la femme que j’aimais le plus au monde et j’avais l’impression d’être rejeté par mon père. Heureusement, il me restait ma sœur, mon bonheur à moi. Sur elle, je savais que je pouvais compter à vie. C’était une valeur sûre et elle le resterait toujours. J’en étais persuadé.
La deuxième fois où mon père avait voulu me parler sérieusement, c’était pour m’annoncer qu’il avait rencontré une femme. Une américaine avec qui il avait une liaison depuis un moment, mais dont il s’était gardé de nous dire. C’était pour notre bien, qu’il disait, pour ne pas nous troubler. Des foutaises ! Il savait juste très bien ce que j’en penserais et quelle serait ma réaction. Il ne voulait pas que je m’en mêle, pas avant d’être sûr de l’avenir qu’il aurait avec cette femme. Non, parce que clairement, j’aurai rendu cette romance impossible et cette femme aurait fini par lâcher mon père tellement j’aurai été insupportable. Mais mon père, cet idiot, avait contrecarré mes plans avant même que je puisse les imaginer puisque, le jour où il nous avait annoncé à ma sœur et moi qu’il fréquentait quelqu’un, il nous avait aussi annoncé qu’on allait déménager. Il s’était vraiment foutu de notre gueule et de ce qu’on voulait. Il ne nous avait pas laissé le choix et j’avais commencé à le détester dès ce jour-là. Je l’avais détesté de nous faire partir contre notre gré, de nous avoir imposé cette femme et de souhaiter qu’on la considère comme une seconde mère. Je l’avais détesté de nous éloigner de notre vraie et unique mère –ou du moins, de sa tombe et de ce qui rester d’elle à l’intérieur–. Je l’avais détesté pour avoir été un putain d’égoïste qui ne pensait qu’à se vider les couilles et non au bonheur de sa propre progéniture. Je sais ce que vous pensez. Il a le droit d’être à nouveau heureux avec une femme, de connaître à nouveau le bonheur et blabla. Et moi, je n’étais pas d’accord avec ça. Je ne le serai sûrement jamais. Il veut baiser et se faire du bien ? Très bien, il y a les putes pour ça et qu’est-ce que je m’en serais royalement foutu qu’il s’en tape. Mais vivre sous le même toit qu’une femme et l’aimer ? Non. À mes yeux, il trompait ma mère. Même morte, elle restait sa femme et ma mère. Point barre.

chapter 2, i just met you and this is crazy ~
« Mais j’vous promets, le jus avec un peu d’alcool, c’est encore mieux ! Venez goûter ! » Ah, mes treize ans. L’âge de la rébellion, je dirais. Cela fait à peine quelques mois qu’avec ma sœur et mon père, nous avions emménagés à Los Angeles, chez la copine –la maitresse, la putain, vous pouvez l’appeler comme vous voulez– de mon père. Ce déménagement ne me plaisait pas. J’avais le mal du pays, le mal de mes amis. C’était dur pour moi de m’adapter à cette nouvelle vie, dans cette nouvelle ville. En ce qui concernait les moments à la maison, si je ne traînais pas avec ma sœur, je passais mon temps dans ma chambre. Il était hors de question que je passe du temps avec mon père et encore moins avec sa nouvelle meuf. Et puis, ce n’était pas comme si je m’étais fait plein d’amis dans cette ville de fils/filles de. Les gens, même les jeunes, ils étaient bizarres ici. Ou c’était peut-être moi qui le suis. Je n’en sais rien. Dans tous les cas, ils ne me comprenaient pas. Ils ne comprenaient pas mon envie de m’amuser, de ne rien faire comme les autres. Au collège, à peine arrivé, que j’étais déjà le casse couille de la structure. Le jeune dont le proviseur aurait bien pu se passer dans son enceinte. Cela m’avait toujours valu les reproches de mon père. Il avait toujours souhaité me voir entrer dans le moule, que je sois comme les autres petits richards de mon bahut. Il en avait marre de me voir faire le con, de me voir m’amuser avec tout et n’importe quoi. Le problème, c’est qu’il n’a jamais compris que, moi, c’est ce que je voulais : être différent des autres, faire tout ce dont j’avais envie même si c’était en parfaite contradiction avec les règlements, m’amuser, vivre ma vie du mieux possible. Je voulais être moi, le vrai moi. Et après les coups de putes que la vie m’avait faites depuis mon enfance, j’en avais le droit. Elle me le devait, cette foutu vie. Et puis, je ne vais pas vous mentir. Puisque ça faisait chier mon père, je m’appliquais à le faire rager encore et encore, et cela, sans m’arrêter. Jusqu’à ce soir, à mes treize ans. Une fête chez un mec avec qui j’avais sympathisé –peut-être même le seul de mon collège, tiens–. Accro aux séries télévisées racontant les histoires de jeunes faisant des beuveries, j’avais jugeais que ça serait cool qu’on puisse boire de l’alcool. Alors, j’en avais volé dans un petit commerce et j’en avais versé dans les verres de jus. J’avais incité les jeunes de la fête à boire et, moi-même, j’avais bu. Au point de vivre ma première cuite à treize ans. Ce fut la première grosse soirée de ma vie et je n’avais eu plus qu’une seule envie : en revivre des tonnes !
Le mieux à cette soirée restait quand même ma rencontre avec Siobhan. Ce dernier avait mon âge et il avait été invité par le mec chez qui on se trouvait. D’après ce que j’avais compris, ils se connaissaient depuis l’enfance, ayant été dans la même classe à l’école élémentaire. En arrivant à cette soirée, Siobhan, je ne le connaissais pas et je pense que, peut-être, dans un autre contexte, on ne se serait sûrement pas parler. Il m’aurait sûrement trouvé bizarre lui aussi. Je l’aurais sûrement trouvé tout aussi étrange, je l’avoue. Et pourtant, à cette soirée, lorsque j’avais sorti ma fiole d’alcool, il était entré dans la pièce au même moment. Il avait l’air de se faire aussi chier que moi, alors je lui en avais proposé et, à mon grand étonnement, il avait accepté de boire ce que je lui tendais. Sur le coup, ça m’avait paru assez fou de sa part. Accepter un truc, comme ça, d’un étranger, c’était osé ! Et puis, j’ai réalisé que j’aurai agi comme lui. On avait alors commencé à parler, à faire connaissance autour de verre de jus alcoolisé –des verres qu’on tentait aussi de refiler aux autres– et, très vite, on s’était trouvé des points communs. C’était même plus que ça. On avait les mêmes pensées, les mêmes envies, les mêmes blagues en tête. J’avais l’impression d’avoir un jumeau caché, un mec né d’une mère différente, dans une ville différente et à une date différente. Alors, au final, ça ne m’a pas étonné plus que ça qu’on devienne rapidement très bons amis. Les meilleurs amis, même ! Et notre duo était tout aussi vite devenu un quatuor, lorsque Sio m’avait présenté Joaquin, son voisin de deux ans plus jeune, ainsi que Mel, une bonne amie à lui. Joa, c’était un fou dans sa tête lui aussi, un petit clown ambulant et ça n’a pas été très dur de devenir super pote avec lui. En ce qui concerne Mel, son côté garçon manqué faciliter grandement les choses. Du coup, voilà. On avait monté notre quatuor de potes et je ne pouvais qu’aimer ça. Je pouvais enfin me montrer comme j’étais, sans avoir peur d’être jugé. Et c’était tout naturellement que je leur avais présenté Louise. Cette dernière était ma jumelle et eux, comme des frères et soeurs à présent. Je voulais qu’ils s’entendent bien et je fus satisfait. Louise avait pris ses marques dans notre quatuor. Et comme nous ne vivions pas très éloignés –avec Louise, on vivait à environ 15 minutes en voiture des maisons de Sio, Joa et Mel–, on se voyait quasiment tous les jours. Je pense même que j’ai passé plus de temps chez Sio ou Joa que chez mon propre père et sa meuf. C’était bien mieux ainsi.

chapter 3, we will find a way through the dark ~
« Écoute Lily, c’était bien nous deux hier soir, mais… Ça s’arrête là. Y aura rien de sérieux, hein. » Je voyais la jeune femme dans mon lit se levait rapidement, commençant à se changer et à rassembler ses affaires. C’est fou, mais, je jurerais qu’elle était énervée. Et merde. Je ne comprenais pas trop. Malgré l’alcool ingurgité, la vieille, j’avais été encore assez conscient pour me souvenir lui avoir dit que je ne recherchais rien de sérieux. Juste un coup, comme ça, pour me détendre et m’amuser. Elle avait été d’accord la vieille, me disant même qu’elle ne cherchait rien de plus qu’une petite partie de baise en toute simplicité. Sauf qu’au réveil, les câlins et bisous qu’elle quémandait m’avaient vite refroidi. Je n’en voulais pas, personnellement. Je voulais juste qu’elle sorte de ma chambre avant que mon père puisse la voir. Ou sinon, j’allai encore entendre des reproches du style "la maison n’est pas un moulin où tu peux ramener toutes les filles avec qui t’as envie de faire l’amour, Eliott !". Lui, il sautait bien sa pouf et je lui disais rien moi, alors bon. Et puis ‘faire l’amour’, quelle blague ! La dernière fois où j’avais fait l’amour, comme il le dit si bien mon vieux, c’était avec mon ex petite-amie, quelques mois auparavant. Mel. Oui, la Mel que j'avais rencontré quelques temps après mon arrivée, ma super copine. Et puis plus par la suite. Mel, elle a été la seule fille à qui j’avais tout donné : ma sincérité, ma fidélité, ma confiance, mon cœur, et même mon âme. Oui, j’avais été amoureux et raide dingue d'elle pendant presque deux ans. Je l’avais aimé, comme jamais j’avais aimé personne d’autre et elle, elle m’avait brisé. Elle m’avait trompé avec un mec rencontré lors d’une soirée. Une putain d’erreur, qu’elle m’avait dit. Elle le regrettait, elle m’aimait, elle avait été complètement saoule et n’avais rien pu contrôler. Elle m’avait dit encore plus de trucs le jour où je l’avais appris, mais moi, je n’avais rien entendu. Je n’avais rien voulu entendre. Elle m’avait trompé, c’est tout. Je ne voulais rien entendre de plus. Elle m’avait trahi, tout simplement. Elle avait tout perdu ce jour-là : ma confiance, mon respect et mon amour. Enfin non, je n’allai pas raconter de bobard. Mon amour, elle l’avait encore. Mais elle ne le méritait plus. Elle ne me méritait plus. C’était simple. Je l'avais chassé de ma vie et, à présent, plus personne ne me méritait et encore moins mon amour. Alors ouais, ce connard qui chassait la fille avec qui il avait passé la nuit avait ses raisons. Certes, mon malheur sentimental ne justifiait en rien mon comportement, mais c’était ainsi maintenant. Je préférais faire mal qu’avoir mal. C’était bien plus simple pour moi. « Ah et au fait, moi, c’est Lucy et non Lily. Connard ! » La jeune femme m’avait dit ça, méchamment, avant de quitter ma chambre puis la maison. Ah... merde. En sortant, elle avait bousculé ma sœur qui, elle, allait justement entrer dans ma chambre. Louise me regardait, les sourcils froncés. Je la regardais, avant d’allumer une clope. « T’es vraiment con Eli. » « Merci du compliment Lou. » Elle soupirait et finissait par sortir de ma chambre en voyant mon air je m’enfoutiste. C’était ma sœur, mais même si je l’aimais, elle n’arriverait pas à me changer.
« Alors ? T’as trouvé ? Dépêche un peu, on a pas que ça à foutre ! » « Mais ta gueule Eli ! » On était là, tous les quatre. Sio, Joa, Lou et moi. On cherchait à savoir nos résultats aux examens pour cette année, à savoir si on passait tous à la promo suivante dans nos cursus respectifs. Parce que oui. Figurez-vous que la bande de bras cassé –sauf Louise, qui est intello à ses heures perdues– qu’on formait été arrivé à l’université. Et on s’en sortait plutôt pas mal. Siobhan finissait sa première année de master, tout comme Louise et moi. Joaquin, qui était le plus jeune –le bébé– de la bande, venait quant à lui de terminer sa troisième année. On était plutôt bon dans nos domaines mine de rien. Bon, évidemment, le jour des résultats, on avait laissé Louise chercher. Si vous voulez mon avis, on n’aurait pas nos résultats avant demain. Elle était peut-être intelligente, mais elle restait lente la petite. On l’aimait quand même, bien entendu ! « C’est bon, j’ai trouvé ! On passe tous... et oui, même toi, tête de babouin. » Elle me regardait avec un grand sourire. Elle était fière de sa réplique, la moche. « Ta gueule, mochie. » Ah l’amour entre jumeaux, c’était quelque chose de beau… et surtout de violent et plein de juron. Mais c’était comme ça, on dira. Enfin voilà, on était heureux tous les quatre. On avançait bien dans nos études et c’était bien ce qu’il nous fallait. Pour ma part, il me restait un an de master en architecture avant d’en finir. Je ne savais pas encore si j’avais la force et le courage –et la folie, surtout– pour tenter un doctorat ou si, à la fin de mon master, je stopperais les études. Je ne savais pas encore où j’allai aller par la suite, parce que retourner chez mon père n'était vraiment pas envisageable. Je ne savais pas grand-chose, sauf que j’aurai ma bande de pote avec moi et ça me plaisait bien ce futur flou tant que ça, ça restait bien visible. J’allai pouvoir profiter encore un peu de la vie avec eux, avant de finir vieux. Enfin, ça, ça sera dans le futur. On aura le temps d’en parler !