Je m'appelle Lucy Wolfe, mais on me surnomme souvent Lu. Je suis née à Cudahy, CA, USA, j'ai 24 ans, et si vous souhaitez m'offrir un cadeau d'anniversaire, entourez le 5 mars sur votre calendrier. Je suis américaine et j'ai des origines anglaises et irlandaises. Côté cœur, je me considère comme hétérosexuelle et je suis une catastrophe nouvellement célibataire. Sinon, lorsque je ne dessine pas, je suis esclave (assistante-styliste non rémunérée) dans une Agence d'artistes.

Bien que Lucy n’en ait aucun souvenir, sa naissance fut un évènement grandement anticipé, prometteur, l’apogée de l’avenir radieux que s’étaient taillés Leonard Wolfe et Siobhan Cahill, tous deux de jeunes avocats prometteurs ayant quitté leur Europe natale au profit d’une grande firme Californienne. Le succès qu’ils croyaient à portée de main, leur mariage scandaleusement huppé et l’appartement en banlieue de LA qu’ils venaient de louer en attendant le bon moment pour acheter une maison portaient à croire que le seul accomplissement restant était d’enfanter. Le processus fut aussi facile que tout le reste, car la jolie Irlandaise qu’était Siobhan ne tarda pas à tomber enceinte, une grossesse facile, sans histoire, au solde de laquelle naquit une toute petite fille qu’ils nommèrent Lucy – leur fierté, leur petite princesse. Aux yeux du monde, la famille était des plus uniques, la firme pour laquelle ses parents travaillait enchainait les gros contrats et, avec une bambine d’à peine deux ans, le jeune couple décida de récidiver l’aventure parentale.

… La seconde fois ne fut pas un succès. À environ 4 mois de grossesse celle-ci beaucoup plus précaire que la première, les ennuis commencèrent à s’accumuler. Ça avait commencé par de vilaines rumeurs sur la firme de droit qui embauchait les deux parents, puis, rapidement, les rumeurs avaient laissé place à un scandale en déontologie, un truc de fraude, au solde duquel la société licencia massivement des employés, le couple Wolfe y passa. Sans emploi et porteur de CV honteusement souillé d’un nom à la réputation minable, le marché de l’emploi devint un calvaire pour le couple … et avec un second bébé en chemin. C’est dans ces conditions que le premier gros conflit éclata entre les époux : l’un exigeait de sa femme qu’elle interrompe cette grossesse qui risquait de les ruiner, l’autre, issue d’une famille très catholique, se refusait à envisager l’avortement, et s’entêtait à garder ce petit être déjà bien accroché en son sein… Et Lucy elle? Elle n’a pas vraiment de souvenirs de cette époque, sauf le déménagement précipité vers une banlieue franchement moins huppé de du coin – un appartement minuscule et mal isolé, les engueulades quasi-perpétuelles de ses parents, et cette petite sœur, Emma, qui vint au monde, comme un cadeau pour ses trois ans, le 6 mars.

Cette nouvelle vie sans artifices, sans couleurs, fut celle avec laquelle elle dû composer : les écoles bas de gammes, semi-douteuses, la demeure dans un quartier fort peu fréquentable qu’elle appelait son chez elle… et pire que tout le reste, qui pour l’enfant qu’elle était n’avait aucune importance : les cris.  Ses parents ne se sont jamais remis du différent portant sur le second enfant, pas plus qu’ils n’ont un jour décroché un boulot autre que celui d’avocat inutile dans de petites firmes sans grand budget salaire. Et si leur précarité financière était un indice du reste, leur couple ne tenait que par un fil : le silence maternel. Rongée par la culpabilité de son choix, Siobhan n’était plus qu’une breloque soumise à son mari… mari qui lui, ne manquait jamais une occasion de tomber sur la petite Emma, qu’il tenait comme personnellement responsable de leurs malheurs. Cette ambiance étouffante ne la quitta jamais, et plus d’une fois, elle eut envie de fuir loin, très loin, et n’eut été de sa jeune sœur, qu’elle aimait plus que tout au monde, il y a fort à parier que Lucy l’aurait fait. Les deux sœurs étaient inséparables, et c’était, aux yeux de Lucy, sa plus grande fierté, elle avait bien involontairement pris sur elle de couver sa cadette de toute l’adoration et l’affection qui lui manquaient terriblement de la part de ses géniteurs.

On aurait pu croire que cet environnement malsain aurait laissé poindre ses marques sur sa vie sociale, pourtant, il n’en était rien. À l’école, Lucy était un véritable caméléon, expérimentée dans le port d’un masque de fausseté, de joie feinte, elle n’était jamais vraiment elle-même, demeurait toujours vague sur sa vie, et n’avait, somme toute, que des amitiés vides de sens et de réel attachement. Puis, il est arrivé, lui, avec ses yeux bridés, ses cheveux de jais, et cette énervante capacité à fracasser ses barrières en un regard : Jack. Si les relations en générale n’ont jamais été sa tasse de thé, et si elle a toujours cru que le coup de foudre était une belle connerie, Lucy a bien voulu ravaler ses mots après cette rencontre. De parfait inconnu, il est devenu son humain, son être favori dans l’univers entier, sa moitié, c’était comme si ce vide béant dans son poitrail, ce besoin inimaginable d’être accepté qu’elle ignorait ressentir, se voyait comblé comme ça, par une rencontre fortuite. Ils n’ont jamais mis de nom sur leur relation, ça n’était pas nécessaire, mais pour la première fois en près de deux décennies : elle ne se sentait plus seule… Elle aurait du savoir, qu’elle était maudite, elle aurait dû se douter, que ça ne durerait pas…. Elle était trop lâche pour.

Tout bascula le soir ou la réponse à sa demande d’admission – envoyée sans grand espoir de réussite – dans un programme sélect de mode à NYC arrive à la maison familiale. Devant l’énorme enveloppe, elle ressenti d’abord l’excitation de cette bourse, de cette chance…. Puis la peur viscérale d’abandonner ses amis derrières, de se retrouver seule… Cette lutte mentale entre le oui et le non aurait certainement duré, si son paternel n’avait pas également choisis ce soir-là pour lever la main sur Emma – devant elle. En une fraction de seconde, on venait de lui arracher tout choix, il n’y avait qu’une chose à faire : sortir sa sœur de là. Il était impensable qu’elle parte en l’abandonnant derrière. Heureusement pour elle, ce coup fut la goute de trop dans un mariage déjà dysfonctionnel, et sa mère accepta de relocaliser sa famille – désormais monoparentale – à NYC.

C’était le début d’une nouvelle vie, d’études stimulantes……….. Et du pire quatre ans de sa vie. Le changement s’était fait graduellement, d’abord sa mère leur avait imposé assez rapidement un nouvel amant du genre plein aux as et snob à souhait – charmant. Ensuite, Emma avait eu sa part de cadeaux en intégrant un lycée prestigieux, cadeaux empoisonné de beau-papa. Les nouvelles fréquentations de sa jeunes sœurs eurent tôt fait de les éloigner, l’un ayant adopté le snobisme comme une seconde peau et l’autre, souffrant bien involontairement des êtres chers laissés au bord de l’océan. Plus les jours passaient, et plus Lucy se sentait seule, isolée, délaissée, et plus que de ne pas s’intégrer, il y avait cette honte, cette fierté trop forte, qui l’empêchait de tendre une main pour demander de l’aide. Elle s’enfonçait de plus en plus, essayant de cacher la tête forte qu’elle était au profit de ses vieux masques : passe-partout et faux.

C’est à cette époque, il y a trois ans, qu’elle fit la rencontre de Philip Calaway, un jeune médecin prometteur avec sourire à vous damner, et une famille fortunée. Le genre d’homme de toute femme rêve d’épouser. Beau parleur, il avait cette façon de lui donner l’impression d’exister, d’être importante, et elle ne tarda pas à tomber sous son charme, irrévocablement amoureuse, sans parvenir à chasser ce sentiment de danger. Si son humour et son aplomb lui avait plu, elle ne tarda pas à passer de complice à bibelot, une jolie accessoire à son bras pour ses soupers huppés. Ce sentiment d’être inadéquate, de ne pas être à sa place dans tout ce luxe lui revint en puissance dix, et elle commença à boire un eu, un peu trop, pour assommer ce besoin de liberté qui la prenait parfois. Cette relation dura trois ans, trois ans d’enfer ou elle s’isola graduellement de ses parents, de ses amis, trois années ou sa vie se résumait à étudier et attendre que son petit ami daigne lui accorder de son temps si précieux. Elle dépérissait comme un oiseau trop longtemps encagé.

Puis, en décembre 2017, Philip obtint une mutation dans un hôpital de LA et lui proposa de déménager avec lui, ce qu’elle accepta, en espérant que ce retour aux sources soient l’étincelle manquante dans leur relation… Hors, ce ne fut pas le cas. Orchestrant sa vie comme n’importe quelle femme certaine des intentions de son compagnon de trois ans, elle prit un boulot bénévole pour combler son CV tragiquement vide,  le laissa s’occuper du bail et du reste… Grave erreur, parce que voyez-vous, son petit ami était apparemment occupé à renforcir des liens charnels…..avec une autre femme, dans leur lit. Et aux vus de leur familiarité lorsqu’elle les a surpris, ça ne semblait pas la première fois. Assurément par la dernière. C’est donc ainsi que s’est déroulé son retour en terre promise : à enfouir ses maigres possession dans un sac dérobé à son nouvel ex, et à quitter les lieux sans plans, sans argent, et sans domicile, glaciale, poussée uniquement par cette fierté qui lui hurlait de ne surtout, surtout pas, le laisser la voir pleurer.