Voyons donc... Je ne suis pas très doué pour les longs discours, mais puisse qu'il faut raconter qui je suis, d'où je viens, très bien, je vais faire au mieux. Je suis né en Suède et, jusqu'à aujourd'hui, j'ai vécu toute ma vie dans ce grand pays froid, envoûtant, rempli de paysages grandioses, à la mythologie passionnante. Ma mère et mon père ne se sont jamais entendus et, pour tout dire, ce n'était pas le must en matière de parents... En gros : un père désinvesti, voire totalement absent, et une mère violente. Mais je ne leur en veux pas vraiment, ni à ma mère, qui n'avait pas eu une vie simple en Norvège, ni à mon père, qui, malgré son aspect fantomatique, a toujours fait en sorte que ma sœur et moi ne manquions de rien. En dépit de leurs violentes disputes, qui finissaient souvent mal, j'ose quand même imaginer qu'un jour, ils se sont aimés... Cependant, il est vrai que cette situation familiale compliquée avait fait de moi un gamin pas facile à vivre à l'école : après deux heures de classe sans broncher (ce qui était pour moi un exploit à cette époque !), impossible de rester sur une chaise ! C'était tout bonnement impensable : je devais bouger, constamment ! Je me souviens même d'avoir longtemps été agressif avec les gens qui venaient me chercher des noises et, pour tout dire, j'avais une réputation de sale gosse à l'école primaire. Même si certains adultes compatissaient, je restais le mioche branché sur dix mille volts, jamais agréable avec ses pairs ou ses aînés et toujours sur la défensive.

Heureusement, vers mes dix ans, avec ma sœur Freja, on a déménagé dans le Nord du pays, dans les montagnes, vivre chez mes grands-parents paternels, Marie Lecomte et Arvid Bjår, car les services sociaux avaient décidé que mes parents n'étaient plus aptes à s'occuper de nous. C'est eux qui nous ont élevé et, là-bas, j'y ai passé des années inoubliables ! Je reste convaincu que cela a contribué à mon radical changement de comportement. De teigneux et agressif, je suis devenu beaucoup plus jovial, amical et posé. Je pense même qu'on peut parler de véritable transformation ! Je pouvais enfin rester assis sur une chaise sans chercher à me lever tous les quarts d'heures. Je me souviendrai toute ma vie des grandes forêts qui entouraient la maison de mes grands-parents. Il y avait plein de neige ! Freja et moi faisions du patin, du snowboard, de la luge à gogo ! Avec mamie 'Riri et papi 'Vivi (comme on les surnommait et qui étaient des mushers) je faisais du traineau presque toute l'année. J'adorais m'occuper de leurs huskys et de leurs groenlandais. C'est à eux que je dois ma passion des chiens. Bref, ma pré-adolescence et mon adolescence se résument à snowboard et hockey sur glace en hiver, et camping sauvage avec papi Arvid et Freja en été ! Le pied quoi !

A la fin du lycée, je ne savais absolument pas quoi faire de ma vie... Ma sœur, elle, si ! Dès ses quatorze ans, elle n'avait qu'une idée en tête : Hollywood. Freja s'est lancée dans des études d'art cinématographique, puis diplôme en poche et quelques contacts dans le calepin, direction Los Angeles. Son rêve ? Devenir réalisatrice de films et actrice. Rien que ça ! Mais elle a toujours eu beaucoup d'ambition et elle rêvait de marcher sur le tapi rouge. Aujourd'hui, on peut dire qu'elle est dans le flot des stretchs et des paillettes. Tellement que ça pique presque les yeux, tous ces flashs d'appareil ! En tout cas, elle a tenu à son rêve comme un chien s'accroche à son bout de lard et il s'est réalisé. Elle m'envoyait souvent des photos avant mon déménagement, mais, perso, je n'ai jamais envié sa vie dans les quartiers huppés de L.A. Moi, cette ville m'a toujours un peu effrayé par sa frénésie...

Enfin, de mon côté, arrivé à dix-huit ans, je végétais toujours comme un chrysalidocarpus lustescens qu'on trouve dans les salles d'attente (et qui est vendu 16€ chez Ikea). Finalement, j'ai fini par trouver un petit boulot dans une ville du Sud de la Suède et j'ai donc déménagé là-bas. J'y ai vécu tranquillement, paisiblement. En fait, je me remercie chaque jour de ne pas avoir fait d'études juste après mon secondaire... Dans cette ville, je faisais des ménages et, notamment en semaine, dans des centres de loisirs et des écoles. Vous savez, j'ai toujours adoré les gamins, car ils ont cette vision du monde insouciante et pleine de rêves, ils sont plein d'énergie et d'imagination. Avec eux, on ne vieillit jamais, comme avec les ados d'ailleurs ! Dans les écoles et les centres aérés de cette ville, j'y ai rencontré des enfants et des ados malades. Il n'y en avait pas beaucoup, bien sûr, mais ceux-là, ils sont difficiles à oublier... Un jour, ils sont là, ces petites bouilles ou ces rebelles de la vie, ils papotent ou jouent avec vous, ils vous font part de leurs passions, vous leur apprenez deux ou trois trucs sympas, et le lendemain, eh bien... On vous apprend qu'ils ne reviendront plus courir dans la cour de récré de votre lieu de travail. Bien entendu, je savais qu'ils souffraient de maladies mais... J'ai trouvé ça... Profondément injuste et triste ! C'est là que j'ai décidé ce que je voulais faire de ma vie : médecin pédiatre !



Le jour où j'ai pris cette décision, je crois que j'ai compris ce qui a animé ma sœur à poursuivre son rêve d'amoureuse du cinéma sans relâche. J'ai tout arrêté, d'un coup, et je me suis préparé à la sélection en école de médecine. J'étais très déterminé et cela a porté ses fruits ! Bien que dernier de la liste, j'ai été reçu à Stockholm ! Que vous dire de cette période de ma vie, celle des études ? C'était génial ! Bon, la ville, je n'ai jamais vraiment été fait pour ça, mais je m'y suis fait beaucoup d'amis et les clubs de hockey amateurs ne manquent pas à la capitale. J'y ai même rencontré mon premier grand amour : Tanja... Je vais avoir du mal à vous parler d'elle, car déjà à cette époque, elle était malade. Mais c'était une bricoleuse hors du commun, un vrai Mike Gyver ! Elle savait absolument tout réparer, des voitures en passant par les volets électriques ! Avec un vieux lit, des clous et des draps, elle vous faisait une porte ! Elle avait l'esprit d'une inventrice et elle créait toutes sortes d'objets avec ce qu'elle récupérait à droite à gauche. C'est elle qui m'a initiait au bidouillage électronique, elle qui m'a amené à voir dans de vieilles boîtes de conserve et des pallettes une table basse de salon … Je l'ai beaucoup aimé. Mais, enfin, le cancer, vous voyez... Ca été quelque chose de très dur pour moi et, même aujourd'hui, j'y pense encore. Elle me manquera toujours... Il n'y a pas de mots pour ce genre de... De chose, disons... Mais elle et moi, on savait sa maladie, on savait que, sûrement, ça ne durerait pas toujours... Aujourd'hui, en tout cas, j'ai fait mon deuil et je sais qu'il faut que j'aille de l'avant. C'est ce qu'elle aurait voulu. Alors, oui, plutôt que continuer de pleurer, je préfère essayer de sourire.

Et je pense avoir enfin retrouver ma vraie nature : celle du Hal qu'on a toujours dit souriant, jovial, tranquille, à l'écoute, le genre de type qui est un peu cet « ami de tout le monde », le gars avec qui on se prend assez peu la tête, même si ça peut arriver, car personne n'est parfait... En fait, moi, les histoires de cœur compliquées, le succès, et tous ces trucs là, c'est ça qui ne m'a jamais vraiment parlé... Je sais, il y en a à qui ça parle, ma sœur la première ! Et il faut des gens comme ça, sinon... Bah on s'ennuierait vachement ! Mais moi, ce que j'aime, ce sont des choses relativement simples : un toit, à manger, voyager, rencontrer de nouvelles personnes, partager des expériences, et surtout, des potes qu'on adore et avec qui on passe du bon temps. Des potes qu'on soutient et qui nous soutiennent. Je pense que la meilleure définition qu'on ait pu donner de moi, c'est que je suis ce fameux long fleuve tranquille dont on parle quelquefois. Si gamin, quand on m'emmerdait, je répondais par les poings, aujourd'hui, si on m'embête, bah je laisse couler.

Enfin... Vous allez me dire : « Ok Hal, d'accord, mais euh... et L.A dans tout ça ? Nous, c'est ça qu'on veut savoir ! » Du calme, j'y viens ! Soyez pas pressez comme ça ! Eh bien, le décès de Tanja a été le tournant. Quelques semaines après l'enterrement, ma sœur m'a recontacté. C'est vrai que je respirais pas non plus la joie à ce moment-là. Elle ne m'a dit qu'une chose : viens vivre à Los Angeles. Pourquoi ? « Pour tourner définitivement la page et entamer un nouveau chapitre dans cette ville extraordinaire ! », c'est ce qu'elle m'a dit. Puis elle m'a bombardé de phrases du genre : « Il faut que tu changes de villes, de pays, c'est un excellent moyen de recommencer, etc. » Je sais qu'elle s'en fait pour moi, car on a toujours été très proche malgré nos grandes différences. Mais bon... Tout plaquer, comme ça ! Quitter mon pays, mes amis, le boulot... C'était quand même beaucoup pour moi, quelques temps seulement après la mort de ma compagne et l'obtention de mon diplôme de fin d'étude... Cependant, mes amis en Suède ont soutenu son idée. De mon côté, j'ai eu besoin de quelques mois pour réfléchir. Puis, le temps passant, je me suis dit qu'elle n'avait peut-être pas si tord... Finalement, j'ai fait le grand saut : j'ai emballé mes raquettes de hockey, mon meuble série Vittsjö, j'ai acheté une cage de voyage pour Toupi et hop, direction les States ! L'Agence tout risque, prépare-toi, j'arrive !



Aujourd'hui, me voilà dans ma toute nouvelle maison avec mes meubles fraîchement installés. C'est Freja qui m'a dégoté cette baraque qui, je dois l'avouer, est bien trop grande pour moi et Toupi... Qu'est-ce que vous voulez que je fasse de tous ces mètres carrés, hein ? Un bowling géant ? Une piste de ski ? Un laser game ? En tout cas, ma sœur est forte pour trouver tout ce dont on a besoin dans cette ville ! Grâce à ses « contacts » d'ailleurs (je me demande bien à quoi ressemble son carnet d'adresses...) elle m'a obtenu un bon poste dans un hôpital de Los Angeles pour passer mes équivalences américaines dans mon domaine.

Bref, vous l'aurez compris : toute une vie à refaire aux USA. Enfin, mes proches le formule comme ça, moi non. C'est une vie à continuer, plutôt qu'à refaire, de mon point de vue. Mais... J'appréhende un peu cette ville. Je n'ai jamais aimé la grande vie urbaine et me voilà jeté dans le « monstre » qu'est L.A, avec ses avenues sans fin et sa plage du Pacifique, purée, le Pacifique quoi ! Des surfeurs partout ! Du sable, du soleil, des cocotiers ! Je suis à quelques heures d'un Alerte à Malibu ! Vous ne vous rendez pas compte du choc que c'est pour le Suédois que je suis !

Malgré mon appréhension, je suppose que je vais finir par m'y faire, à L.A, à l'accent américain, au soleil, à toute cette vie, il faut le dire, en dix fois plus démesurée qu'en Europe. Ici, les gens voient tout plus grand, vivent tout plus fort : ils ne font pas la fête, ils cassent tout ! Qui sait, tout ça finira peut-être par vraiment me plaire... Et je vous avoue que je suis un peu impatient de découvrir tout ce que cette nouvelle étape de ma vie, ainsi que Los Angeles et ses habitant.e.s, ont à m'offrir.